Mars 2022 | Interview Omalius
L'impact du biais sur la carrière des chercheurs et solutions pour la diversité
Omalius (O) : Nous avons regardé vos diapositives et écouté votre exposé lors de votre participation à l'événement en ligne du WGiS le 11 février. Pouvez-vous nous expliquer en quoi les décisions sont biaisées lors du recrutement des chercheurs ?
Prof. Petra Rudolf (PR) : Les préjugés sont le lot de tous. Nous ne pouvons pas nous empêcher d'avoir des préjugés. Le degré de partialité que nous avons dépend de notre culture, de notre éducation, etc. Faites le test sur le site de l'université de Harvard pour voir dans quelle mesure vous êtes partial. Vous serez probablement surpris par votre résultat.
Formation
La première étape importante est de réaliser que nous sommes partiaux. C'est pourquoi il est bon que toute personne amenée à prendre des décisions concernant des personnes ou de l'argent suive une formation sur le sujet des préjugés inconscients. Soyez conscient que vous avez des préjugés et ne pensez pas que vous êtes capable de prendre les bonnes décisions simplement parce que vous pensez ne pas être raciste par exemple. Même si nous sommes rationnellement en faveur de la diversité, notre processus décisionnel inconscient fait toujours obstacle.
Procédures
La deuxième étape consiste à penser à mettre en pratique des procédures qui nous empêchent de tomber dans le piège. L'époque où les décisions personnelles biaisées étaient prises consciemment est révolue. Mais la partie inconsciente est toujours présente. Ensuite, il faut tenir compte de la dynamique de groupe. Chaque fois qu'un comité doit prendre des décisions, la dynamique de groupe entre en jeu. Même si j'ai personnellement une opinion, après avoir écouté les autres, je suis immédiatement influencé.e, surtout si les opinions proviennent de fortes personnalités.
Les critères objectifs sont essentiels, mais demandez également aux candidats de remplir un formulaire dans lequel ils expliquent pourquoi ils pensent répondre aux critères clairs que vous avez définis dans votre procédure. Certains éléments n'apparaissent pas dans les CV. Assurez-vous que le classement est basé sur ces critères objectifs. À Groningen, nous avons appliqué cette méthode et elle fonctionne.
Pendant les procédures de recrutement, nous ne parlons pas du candidat entre nous, jusqu'à la toute fin, lorsque nous avons vu tous les candidats. Lorsque nous établissons la première liste restreinte, nous commençons toujours par un classement anonyme. Nous ne perdons pas de temps à discuter si le candidat doit ou non figurer sur la liste restreinte. Les candidats qui ne sont pas retenus sur la liste restreinte reçoivent une lettre leur expliquant pourquoi ils n'ont pas été sélectionnés. Il y a un membre étudiant dans le comité, qui a des opinions différentes de celles des professeurs mais qui a le même droit de vote. Pendant la discussion, vous ne dites pas si la personne doit être inscrite sur la liste restreinte ou non. Vous vous contentez de donner vos arguments pour que la personne soit sur la liste restreinte ou non. Ensuite, on vote une deuxième fois, sans autre discussion.
Qualité des entretiens de promotion
Pour l'entretien ou le comité de promotion, nous sommes formés par une personne spécialisée dans la dynamique de groupe. Cette personne est présente pendant que nous menons l'entretien. Ensuite, elle nous parle de ce que nous avons dit, de notre langage corporel, de qui nous avons regardé pendant que nous parlions, si nous avons ri, souri... toutes ces choses que nous faisons et dont nous ne sommes pas pleinement conscients mais dont nous pouvons prendre conscience. Il est plus agréable pour les candidats d'avoir un comité professionnel. Cela permet à la personne de mieux vivre l'entretien car aucun jugement ne transpire dans vos réactions. C'est encore plus important pour les comités de promotion car vous devez une expérience positive à cette personne qui travaille dans votre institution. Car même si au final, la décision est négative, la personne doit la vivre comme une expérience positive, où elle apprend ce qu'elle doit faire pour être promue. Vous devez donner à la personne le sentiment que son travail est hautement apprécié et qu'il y a une très bonne raison qui justifie qu’elle ne peut pas être promue cette fois-ci. C'est aussi quelque chose que tout le monde n’est pas capable de transmettre naturellement, d'où la formation nécessaire. Mais c'est très important car cela lie beaucoup plus les gens à votre institution et leur donne un sentiment d'appartenance. C'est très important car cela influencera la façon dont votre propre personnel travaillera après cet entretien. Il ne s'agit pas seulement de sentiments, mais aussi d'une question financière, car une personne qui se détache de l'institution ne sera plus aussi productive. Ces expériences stressantes ne devraient jamais être négatives.
O : Comment les gens réagissent-ils au fait d'avoir une femme comme manager ?
PR : Aujourd'hui, la situation s'améliore parce qu'il y a plus de femmes managers, mais quand j'ai commencé à Groningen il y a des années, j'étais la première femme en physique et la troisième du pays. Les secrétaires et les techniciens, en particulier, se sentaient très mal à l'aise. Ils n'ont donc pas travaillé de manière optimale. Aujourd'hui, en raison de l'arrivée d'un personnel beaucoup plus international, nous essayons de dispenser une formation interculturelle au personnel de soutien. Ils doivent savoir qu'ils ne sont pas les seuls à ne pas pouvoir faire face à la situation, car ce n'est tout simplement pas vrai. Nous sommes tous mal à l'aise face à une personnalité qui se comporte différemment de ce à quoi nous sommes habitués. Il faut l'accepter et c'est normal dans un environnement universitaire international. Les professeurs ne sont pas les seuls à devoir traiter avec des doctorants ou des chercheurs post-doctoraux du monde entier, les secrétaires aussi qui, tout à coup, ont affaire à une personne asiatique, latino-américaine ou à n'importe qui dans le monde, qui se comporte d'une manière à laquelle elles ne sont pas habituées. Une fois que vous en savez plus sur la culture, les différences, les habitudes, alors cela devient beaucoup plus facile. Nous formons également les directeurs de thèse à la communication avec les étudiants présentant des symptômes du spectre autistique. Car nous savons que dans les sciences et l'informatique, il y a un certain nombre de doctorants qui appartiennent à cette catégorie. Souvent, les gens pensent que lorsqu'ils deviennent professeur, ils savent tout, mais c'est bien sûr absurde. Il faut être formé. Sachant qu'il faut être extrêmement explicite, et ne pas se fier à ce que l'on pense qu'il ou elle sait déjà. C'est une façon différente de penser. Une fois que vous connaissez l'état d'esprit, vous pouvez vous y adapter. Nous avons un coach autiste fantastique : il aide non seulement à superviser les doctorants présentant ces symptômes, mais aussi à gérer toutes les différences culturelles. Parce qu'une fois que vous êtes conscient que supposer implicitement une certaine chose n'est pas ce que vous devriez faire, être très explicite dans votre communication brise toutes les barrières des différences culturelles.
O : Vous êtes une femme professeur, scientifique, en physique. Ce n'est pas une carrière très "féminine". Comment êtes-vous considérée dans ce monde d'hommes ?
PR : La situation s'est vraiment améliorée maintenant. Nous sommes au moins 35% de femmes dans cette situation. Les choses changent, mais pas assez vite (rires). Ce qui est bien en Belgique, c'est que la population étudiante est beaucoup plus large socialement. Lorsque j'enseignais en Belgique, j'avais plus de filles aux cheveux couverts qu'ici aux Pays-Bas. Aux Pays-Bas, les enseignants de l'école primaire jouent un rôle très important dans l'orientation de l'élève vers le niveau scolaire suivant. Mais ils ne sont pas vraiment conscients du fait que quelqu'un qui ne parle pas le néerlandais à un niveau très élevé peut être un mathématicien fantastique, par exemple. Si quelqu'un n'a pas un très bon niveau d'un point de vue linguistique, on ne lui conseille pas de hautes études. Alors qu'en Belgique, il y a beaucoup plus d'enfants issus de milieux très divers qui arrivent à ce niveau. C'est vraiment un plus et c'est quelque chose qu'on devrait avoir partout. Je suis totalement enthousiasmée par le système belge.
PR : La crèche est-elle toujours ouverte au personnel et aux doctorants ? Oui ? C'est fantastique ! J'en parle toujours autour de moi parce que je n'ai pas vu d'autre endroit où cela existe. À l'époque où j’étais à Namur, il y avait aussi des dames qui venaient chez vous pour garder votre enfant lorsqu'il était malade afin que vous puissiez poursuivre vos activités. Cela apporte une grande tranquillité d'esprit aux parents. C'était aussi une aide fantastique et je conseillerais à chaque institution de mettre en place ce genre de système.
O : Avez-vous rencontré des difficultés pour gérer votre carrière et votre vie privée ?
PR : J'ai un mari fantastique. Et voici ce que je recommande à tous les jeunes scientifiques. Si vous devez choisir une carrière académique, pensez-y vraiment à fond. Lorsque vous êtes avec quelqu'un, c'est un chemin que vous parcourez ensemble. Vous savez comment peuvent être les carrières dans le monde universitaire. Vous pouvez rester au même endroit pendant presque toute votre vie. Mais plus fréquemment, vous bougez, vous déménagez. Vous devez réfléchir à comment et quand accomplir ces étapes. Dans mes groupes de mentorat d'étudiants en doctorat, je leur dis que la quatrième année de leur doctorat (lorsque vous avez des résultats) est le moment idéal pour avoir un bébé. Le bébé est petit lorsque vous devez faire un post-doc, des bourses spéciales peuvent vous aider assumer la garde de l'enfant et vous avez le temps de faire votre post-doc avant qu'il ne commence l'école. Normalement, on ne pense pas à toutes ces choses.
En outre, les femmes universitaires ont souvent des partenaires qui sont également dans le milieu universitaire. Il faut y penser très tôt. Les universités qui peuvent engager deux personnes ayant plus ou moins la même spécialisation (c'est très souvent le cas) sont très rares. Si vous rencontrez quelqu'un à un stade précoce de votre carrière et que vous êtes dans le même domaine, essayez de vous diversifier le plus rapidement possible. Car ce n'est qu'à ce moment-là que vous avez une chance de pouvoir postuler et qu'il y a aussi un poste pour le partenaire. Sinon, l'un des deux doit faire des sacrifices, ou vous devez vivre séparément, ce qui est peut-être encore pire. Dans certaines régions du monde, on trouve plusieurs universités à des distances raisonnablement courtes, mais c'est une exception. C'est quelque chose que vous devez planifier. C'est faisable, mais ce n'est pas une façon conventionnelle de faire les choses.
Le mieux, bien sûr, est de faire comme moi : avoir un mari transportable (rires). Mon mari est peintre. Il a déménagé avec moi dans de nombreux endroits. Bien sûr, nous décidions ensemble si oui ou non nous allions déménager. Par exemple, la Suède était un grand non pour lui, car un peintre ne peut pas survivre à des hivers sombres.
Mais c'est un sujet dont je parle vraiment avec mes doctorants. Il n'y a pas qu'une seule personne avec laquelle on peut être heureux, il y en a plusieurs. Cherchez l'occasion de rencontrer la bonne personne.
O : Un message important ?
La confiance en soi
PR : Les différents endroits où vous travaillez dans le monde universitaire conviennent à différentes personnes. Si votre façon de travailler n'est pas pleinement appréciée là où vous êtes, vous devriez chercher un autre endroit. La vie en milieu universitaire est difficile. Si vous n'êtes pas heureux, c’est impossible à assumer. Vous devez trouver un environnement où vous êtes apprécié et où vous pouvez être heureux. Par exemple, lorsque je cherchais un poste de professeur, j'ai postulé à deux endroits différents. Dans l'un d'entre eux (la Suède, mais rappelez-vous, mon mari ne voulait pas y aller), j'ai reçu une lettre de réponse avec une liste de classement, ce que tout le monde reçoit là-bas, d’ailleurs. C'est très intéressant car vous savez exactement qui a postulé pour le poste et comment la personne a été considérée par le comité. C'est extrêmement utile pour vous-même de savoir comment les gens vous considèrent. Dans cette institution où je ne me suis pas vue offrir un poste, le courrier disait : « Mme Rudolf est très active, elle travaille dans de nombreux domaines différents, nous avons un peu peur qu'elle n'approfondisse pas assez chaque sujet ». Pour l'autre institution (les candidatures étaient espacées de seulement 2 mois, donc rien n'avait changé), j'ai reçu une offre et la lettre disait : « Mme Rudolf est très active, elle travaille sur beaucoup de choses, et cela va vraiment dynamiser notre département » (rires). Cela montre simplement que le même travail peut être apprécié différemment selon l'environnement. Si vous ne vous sentez pas heureux dans un endroit, cela ne signifie pas que vous n'êtes pas bon ou que l'ensemble de la communauté scientifique n'apprécie pas ce que vous faites. Vous êtes simplement dans la mauvaise institution pour ce que vous voulez faire.
Interview réalisée par Léa Vergoni et Karin Derochette (mars 2022)